http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2012/01/07/le-conseil-detat-se-moque-des-mineurs-isoles-ce-30-decembre-2011-lassana-b/ "Le Conseil d’État se moque des
mineurs isolés et de l'existence d'un droit à un recours effectif pour assurer
leur protection comme l'exige la Cour européenne des droits de l'homme
(CE, 30 décembre 2011, Lassana B.) par Jean-Pierre Alaux* et Serge
Slama
Le cas de Lassana B., mineur isolé errant dans les rues de
Paris, n'a (malheureusement) rien d'exceptionnel (v. les rapports, de maraudes du collectif des exilés
du Xè qui recense entre 30 et 50 nouveaux
mineurs isolés chaque semaine aux abords de la gare du Nord et de l'Est). Des centaines de mineurs étrangers isolés sont dans
le même cas et se heurtent aux mêmes barrières
administratives et d'inhumanité.
Sauf que le cas de Lassana a été porté au Conseil d'État par le Gisti (avec
l'assistance de Me Roger, avocat aux Conseils) et qu' il vaudra sûrement à la France une condamnation par
la Cour européenne des droits de l'homme - de la même manière que la Grèce a été condamnée dans l'affaire Rahmi pour violation de l'article 3 et 13 combiné à l'article 3
(Cour EDH, 1e Sect. 5 avril 2011, Rahmi c. Grèce ,
Req. n° 8687/08 - ADL du 6 avril 2011).
En l’occurrence, Lassana B. est un malien arrivé en France en avril 2011 en possession de son passeport et d'un extrait d'acte de
naissance qui, tous deux, établissent qu'il est né le 4 février 1995 à Bamako. Il a donc 16 ans - ce que confirme son apparence
physique. Il est initialement hébergé en hôtel par l'Aide sociale à l'enfance
(ASE) de Paris qui, comme de coutume, obtient du parquet des mineurs une
autopsie in vivo en vue de déterminer son âge (appelé "tests
osseux"). Contre toute évidence,
il est déclaré majeur. L'ASE le met aussitôt à la porte et à la rue. Il dort à la "belle" étoile du côté de la
place Léon Blum dans le 11e arrondissement de Paris. Sur cette place il n'a pas
croisé de Marcel Marx. Dans la vraie vie, contrairement au film Le Havre d'Aki Kaurismäki ,
les riverains de la Place ne se mobilisent pas au soutien de ces mineurs (et la
police ne lui court pas non plus après puisque mineur il est inexpulsable). En
réalité dans la vraie vie tout le monde (ou presque) est indifférent à la
situation de ces mineurs isolés étrangers. Toutefois, en l'occurrence, une
inconnue lui a indiqué que les locaux du Gisti ne sont pas loin et lui montrant
le chemin. Le 3 mai, le Gisti aide ce mineur totalement désorienté et vulnérable à rédiger une
lettre de saisine directe du juge des enfants et appuie cette saisine. Le
12 mai, lui et le Gisti demandent à l'ASE de lui communiquer
les résultats de son "autopsie", ce que l'ASE - qui n'a aucune
culture de l'écrit et de la communication des pièces et des
décisions - ne fait presque jamais. Le 31 mai, l'ASE répondra que ce document
est incommunicable car, selon elle, il s'agit d'une pièce réservée à l' "exercice de la justice" (sic) qui ne "constitue pas un document
administratif". Le 14 mai, Lassana
forme un référé-liberté devant le
tribunal administratif de Paris demandant sa prise en charge par l'ASE "à titre conservatoire" dans l'attente de la décision du tribunal
pour enfants. Le Gisti intervient volontairement
à ses côtés. Le 16 mai , le TA de
Paris rejette la requête au motif que le jeune homme, étant mineur, n'a pas de
capacité à agir.
Décision est prise d'interjeter appel de ce rejet. L'aide
juridictionnelle est accordée. Me Alain-François Roger assure la défense. De
façon à démontrer que les mineurs isolés sont privés de
tout moyen de défendre leurs droits fondamentaux par la règlementation française les
concernant si on ne leur reconnait pas une capacité à agir pour défendre ces droits quand ils en sont spoliés, le Gisti demande le 31 mai au parquet de Paris de
désigner un administrateur ad hoc pour la procédure en
cours. Le parquet répondra négativement le 15 juillet à cette sollicitation. Le 30 juin, le Gisti
demande parallèlement au juge des affaires familiales, agissant en qualité de
juge des tutelles, à être désigné administrateur ad hoc pour
cette procédure devant le Conseil d'État en application de l'article 388-2 du
code civil - "Lorsque, dans une procédure,
les intérêts d'un mineur
apparaissent en opposition avec ceux de ses
représentants légaux, le juge des tutelles dans les conditions prévues à
l'article 389-3 ou, à défaut, le juge saisi de l'instance lui désigne un
administrateur ad hoc chargé de le représenter". Le Gisti invite le juge à considérer que, s'il avait
été saisi par Lassana d'une demande de désignation d'un représentant légal, il (le juge) aurait inévitablement désigné l'ASE de Paris qui est l'adversaire du
jeune Lassana ; qu'on est donc virtuellement dans
la situation d'" opposition" entre les intérêt du mineur et ceux de son
seul représentant légal possible décrite par le code civil ; que, dans l'intérêt supérieur du
mineur, mieux vaut ne pas perdre de temps à créer le conflit d'intérêts ; que mieux
vaut
passer directement à la désignation d'un administrateur ad hoc capable
d'assister Lassana devant le Conseil d'État. Le JAF comprend le raisonnement du
Gisti, mais estime qu'on ne peut faire l'impasse de l'étape de la nomination de
l'ASE qui permettra de constater l'opposition d'intérêt avec son "protégé",
laquelle ouvrira ensuite la voie à la nomination du Gisti comme administrateur ad hoc pour
la cassation devant le Conseil d'État (le juge des référés du TA de Paris ayant
rejeté la requête pour irrecevabilité manifeste sur le fondement de l'article
L.522-3 du CJA). Double refus donc de
représentant légal, l'un du parquet, l'autre du JAF. Le Gisti espère avoir fait la démonstration que, si l'on
veut qu'un mineur isolé puisse revendiquer le bénéfice de ses droits
fondamentaux quand ils sont bafoués, il n'existe pas
d'autre solution que
d'admettre sa capacité à agir. Le
Conseil d'État ne l'entend pas de cette oreille puisque, le 30 décembre 2011,
il confirme l'ordonnance du TA de Paris avec une certaine solennité puisqu'il
entend publier sa décision dans son recueil de jurisprudences majeures (tables
du Recueil Lebon). Un mineur, considéré comme
mineur par le juge administratif et majeur par l'autorité judiciaire Le Conseil d'État considère en effet la requête
introduite par le Gisti au nom du mineur et avec sa signature irrecevable : "Considérant qu'un mineur non émancipé ne dispose
pas, en principe, de la capacité pour agir en justice ; qu'une demande qui n'est pas introduite par une personne habilitée à le
représenter est, par suite, irrecevable ; que, pour rejeter comme irrecevable, en application
des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, la
demande présentée par M. A sur le fondement des dispositions de l'article
L. 521-2 du même code et tendant, d'une part, à ce qu'il soit admis au bénéfice
de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre
part, à ce qu'il soit enjoint au département de Paris de le prendre en charge
au titre de l'aide sociale à l'enfance, le juge des référés du tribunal
administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne conférait à un
mineur la capacité à agir devant la juridiction administrative sans représentant légal ou mandataire spécialement habilité……